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Lili memories
25 juillet 2005

"Tiger Lili" ou Kadour Ben Racid (Récit) INTEGRALE

 

Préliminaires

 aucun des articles ou notes de ce blog ne saurait être publié ailleurs qu'ici (ou sur mes sites KNTHMH), ni cités, ni modifiés

ses copyrights sont ma propriété exclusive

KNTHMH COPYRIGHTS 2005


(un exemplaire de ce récit en a été remis dactylograhié à ma psy , sous forme de pdf à Paquita, à Frank, à Nicolas, à Olivier dès sa parution sur canalblog)

 

Ce récit est dédié à mon psy, à mon amie Paquita, à tous ceux que j'ai rencontrés sur le net, ainsi qu'à toute personne de bonne volonté.

 

 

Mémoire fracassée à la recherche de son identité, de la perle manquante qui fera son unité, Tiger Lili?  il n'y en a qu'une et unique, d'autres ne pourraient être que de lointaines et pâles copies...

 

 

Ou des fragments d'elles, vous savez, comme lorsqu'on laisse échapper un miroir, et qu'il se brise en mille morceaux...

 

Dans ce récit: quelques instants retrouvés de vies mouvementées remplies de bien d'autres épreuves,
le souhait de tordre le cou aux"non-dits", ces "cadavres dans le placard "qui empoisonnent les familles de génération en génération, d'ouvrir et dénouer les sacs de noeuds,
un mouvement de relecture et d'espérance.

 

Avertissements:

Tout rapport avec des faits et des personnages existant actuellement  ou ayant existés ne serait que totalement fortuit!

De même: toute ressemblance avec des faits que d'autres auraient vécus, des personnes que vous auriez rencontrées, reconnues, ne pourrait être que coïncidences aléatoires et subjectives!

Sans parler de probabilités troublantes pouvant survenir plus tard, voire plus tard encore! ou alors étant survenues avant, bien avant!

 

Tiger Lili

 

 

ce texte a donc été transmis à mon psy, à Paquita, et à certains de mes amis en 2005

aucun de ses artcles ou notes ne sauraient être publiés ailleurs qu'ici, ni cités, ni modifiés

ses copyrights sont ma propriété exclusive

 

KNTHMH COPYRIGHTS 2005


 

 

30 avril 1998

 

Au temps des palabres

 

Je vous parle d'un temps...

 

 

 

Les hommes sirotent une anisette dans leur coin; les filles ont sorti les meubles de poupée et font la "goûtette"; les "grands" continuent à construire leurs cabanes rivales, l'une en branchages, l'autre en planche; je m'entraine au trapèze et à la corde lisse avec ma soeur et mon cousin.
C'est après la sieste, l'heure de la "causette".

Les femmes ont installé leur chaise en rond sur la terrasse ombragée. Les unes ont leur napperon, leurs draps ou leur nappe à broder et lancent point avant, arrière, point de tige, de feston, d'autres ont leur tricot, leur crochet ou leur macramé, l'une d'entre elles tisse une écharpe mousseuse en mohair blanc, une autre effrange un carré de soie qui lui servira de foulard et de châle.
Elles évoquent leurs amours passés, un de nos cousins passe en faisant le "bravache", il lance un clin d'oeil assasin à ma mère, elle baisse les yeux et rougit, elle venait de parler de lui!
Il a branché la chaine stéréo qui diffuse un vieux tube de Brel: La valse à 1000 temps.
-Tu danses ?
-Non, demande plutôt à Lili!
Il vient me chercher, bras ouverts, l'oeil mi-amusé, mi-coquin, il sent l'anisette à plein nez.
Au diable les vieux boucs lubriques qui jouent mal l'alcool!
-Je dégouline de sueur!
-Ca ne fait rien!
Ah, j'aime trop danser!
Il danse bien...

C'est ensuite mon grand-père qui m'invite. il m'impressionne, il n'est jamais satisfait de moi, il me semble que ses yeux me transpercent, et que ses mains tremblent, je n'aime pas. Mais j'aime trop danser!
-Viens par ici Lili, il serait temps que tu fasses des ouvrages de "dame"!
-Je sais broder, coudre, tricoter, tisser, ça use mes yeux...
-Ah, elle sait!
-Oui, répond ma mère, elle SAIT!
-Alors viens parler avec nous... un moment, laisse tes agrès!
-Je m'ennuie à écouter vos palabres, je ne sais quoi dire...
-Viens, raconte-nous tes amours, toi aussi!
-Je n'ai rien à dire!
-Comment pas de petit ami?
-NON!
-Mais si, elle en a plein!
-NON! je vous dis NON!
-Arrête de faire ta sauvage, on t'a vue!
-Ah oui, et avec QUI?
-On sait!
-Oui, approuve mon oncle, un mauricaud, qui joue de la guitare, c'est son amant! dis le contraire!
-Ce n'est que mon meilleur ami. Il en aime une autre... Djemila!
Tout le monde rigole!
Je sens qu'on m'a encore tendu un piège. Je fixe le sol, je voudrais qu'il m'engloutisse.

Rachid s'approche vivement de moi et me glisse:
-Je pars, je monte à Paris.
Je blémis, jette les yeux au-dessus de mes verres de lunettes et lui souffle:
-Pars, fais ce que tu as à faire et reviens vite!
Tu sais que...
Il pose une main sur ma bouche avant que je poursuive.
-Oui je sais!
Mon coeur bat la chamade, je suis brûlante, je veux et j'ai peur.
Puis je détourne le regard pour que nul ne voie que je pleure.
Je fixe obstinément l'arbre de Judée, et ses fleurs roses.
(Tu crois que tu reviendras?)

                                                                (A suivre)

 

 

(Il était un jardin qu'on appelait la terre...)

 

 

01 mai 1998

 

Au temps de l'amour contrarié

 

 

Rachid, est le cousin de Nabil, et Nabil est le copain de ma soeur.
C'est comme ça que je l'ai connu.

Il est grand, brun, un peu sombre, comme s'il n'avait jamais connu la tendresse ou la joie.
En fait, il ne les a jamais connues peut-être, il est orphelin, c'est sa tante qui l'a élevé.
Elle a élevé tous ses frères aussi.

Je ne sais pas comment ses partents sont morts, ni quand. Il ne s'en souvient pas. Il dit que peut-être ils sont vivants, mais seul Le Miséricordieux sait où...
Il dit qu'il faut qu'il les retrouve, surtout son père!
Il dit que c'est dur de n'avoir jamais eu de père, et de ne pas savoir pourquoi!
Il dit qu'il lui sera difficile d'être un bon père.

Moi je suis sûre que l'enfant que je porte, il saura être un bon père pour lui, tout comme il sait être tendre et attentionné avec moi, alors qu'il n'a pas connu sa mère! L'affection, c'est inné en lui!

Je ne lui ai pas dit encore, c'est trop tôt, il est si petit notre bébé, comme un petit grain de blé tombé en terre.
Quand il sera de retour de Paris. Pourvu qu'il revienne et vite!
Il voulait tant avoir un enfant, et moi je n'étais pas prête, et surtout la famille, je n'ose pas imaginer l'ouragan que va produire l'annonce de la nouvelle! Je leur dirai le plus tard possible. A eux.
Mes parents n'aiment pas Rachid, ils ne lui ont procuré du travail que pour lui éviter de devenir trafiquant, dealer ou pire!
Moi, j'ai confiance, c'est un gars bien, il s'adapte à tout et à tous, il est courageux, et il m'aime, je ne me suis jamais sentie aussi bien avec un garçon!
On se comprend même sans se parler, et quand on parle, c'est pendant des heures, et on est souvent sur la même longueur d'onde.
Les parents nous font la chasse lorsqu'ils nous voient ensemble, ils nous ont dit:
"Pas la peine de nous forcer la main, c'est: NON! Quand vous serez majeurs, vous ferez ce que vous voudrez, avant, non! Pas question!"

                                                                 (à suivre)


 

 

02 mai 1998

 

Au temps du fruit de l'amour

 

L'amour de moi s'y est enclose....

 

En fait, on n'a pas trop fait exprès de le faire ce petit! Ca s'est fait tout seul, tout naturellement, dans un accès de désir et de tendresse. Maintenant qu'il est là, j'espère qu'on ne nous mettra pas trop de bâtons dans les roues.
Il va être fou de joie Rachid! Il m'a offert toute la collection des Laurence Pernoud trouvée chez Emmaüs, pliée dans un beau papier avec des coeurs, et il m'a dit:
-Faisons un fils! comment on l'appellera?
-Kadour Ben Rachid!
-???
-Etoile de K., ou sentinelle, fils de Rachid!
-Pourquoi dis-tu "sentinelle"?
-Vieille histoire, notre gardien d'immeuble à Djezaïr, il s'appelait Kadour, et pour moi, ce nom ça signifie: sentinelle derrière la porte, tu sais, pas la Porte, mais celui qui ouvre la porte à ceux qu'il connaît, pour un catholique, tu dirais: Pierre, celui qui a les clés du Paradis.
-Et si c'est une fille?
-Kadoura Maryam, celle qui ouvre la porte à Celui qui Vient... Porte du Ciel, pareil!

Rachid aimerait avoir un fils...dont il serait le père.
Et moi une fille...dont je serais la mère

Pourquoi pas, l'un et l'autre, jumeaux, ça se fait dans la famille!

                                       (à suivre)

 

 

02 juin 1998

 

Au temps des doutes

 

 Je ne sais pas ce qu'il est allé faire à Paris, Rachid.
Il sait presque tout de moi, mais moi, est-ce qu'il m'a tout dit?
Il a grandi dans un bar, on peut en faire des rencontres dans un bar, et pas toujours fameuses...

Je commence à avoir des nausées, c'était trop beau! Et je me suis trouvée mal deux fois, dont une en présence de ma mère. Elle m'a jeté un drôle de regard! Et puis: "Tu ferais bien de me dire ce que tu as fait!"

J'ai biaisé, un ou deux jours, mais elle me talonnait comme seule elle sait le faire, alors j'ai craqué, pardon Rachid, elle le sait avant toi, mais c'est ma mère, elle peut comprendre, elle a été enceinte déjà! toi, pas! Je lui ai tout raconté, elle n'a répondu que: "Nous ne sommes pas chez nous ici, nous ne sommes pas libres, tu ne peux le garder!"
Je ne crois pas, hélas, qu'elle plaisante. J'ai passé le reste de la journée à pleurer dans les toilettes du fond du jardin, recroquevillée, entre le mur de planches et la cuvette. Personne n'est venu par là, personne ne m'a entendue!

Il me tarde vraiment le retour de Rachid, ça ne va pas se passer comme ça, ah, non! Je ne me laisserai pas faire, j'en ai assez que l'on dispose de moi à son gré ici!

Et puis ce bébé, il épanouit, il magnifie mon corps! Souvent je caresse mon ventre, et je prie, il y a là la vie, la VIE!
Et ma poitrine, elle se tend, elle se gonfle, picote, grésille. Jamais ressenti ça avant, c'est d'ailleurs pour ça que j'ai fait et refait le test. Positif = le contraire de négatif, positivons donc!

Tant que ma mère n'en parle pas à mon père, je ne me fais pas trop de soucis.
Mais si elle lui en parle, il est entier, il ne plaisante pas avec l'"Honneur", et c'est lui le chef de famille!
Je commence à avoir les trippes nouées.
Impossible de détruire le fruit de l'amour.
Ce sont mes PARENTS, ils ne peuvent avoir cette idée quand même!

                                     (à suivre)

 

 

 

10 juin 1998

 

Au temps de la peur

 

Rachid ne revient toujours pas, il ne m'écrit pas, je ne sais où le joindre.

Cette nuit, j'ai revu dans ma tête tout ce que j'avais vécu depuis ma naissance: coups, punitions, violences, brimades, calomnies, diffamation, la triste histoire dont je peux dire à présent le nom: inceste! et depuis: le flicage systématique et continuel de toute la famille, les moqueries, le manque d'intimité et de liberté, le courrier ouvert, mon journal découvert et lu quotidiennement par ma mère, mais qui sont les gens qui m'entourent et sont censés m'aimer et me protéger?

Comment pourrai-je garder mon bébé si je suis seule contre eux tous?

J'ai peur, mais je ferai comme toujours! comme si je n'avais pas peur! Comme si tout était normal!
Tu as mal, souris aux spectateurs, souris, ça détend les muscles, tu as moins mal, tout le monde crie "Bravo! comme c'est facile pour elle, tout est facile pour elle, tout lui réussit, elle a la baraca!" Ouais!

Je pense à Rachid, où est-il? Qu'est-ce qu'il fabrique? Tout est trop calme là, je suis dans l'oeil du cyclone, il va se passer quelque chose, mais quoi?

 

Il m'aime, je l'aime, je ne peux pas en douter et je ne dois pas!

Je suis allée voir Nabil et ma soeur, je leur ai tout raconté. Ma soeur m'a consolée, elle m'a dit qu'elle ne supporterait pas que je me fasse avorter, surtout si je voulais garder l'enfant, et que même si Rachid ne rentrait pas, elle m'aiderait avec Nabil à élever notre enfant, en dépit des parents et du qu'en dira-t-on.

Courageux! Heureusement que je les ai! Oui quelque part, j'ai de la chance...

 

                                                        (à suivre)

 

 

25 juin 1998

 

Au temps des complots

 

Mon père est au courant!
il y a eu grand conseil de famille, puis on m'a convoquée au "tribunal".

Et voilà comment on m'a tuée:
"Rachid n'est pas un gars valable, il t'a abandonnée et il a quitté son boulot. Il ne t'aime pas, il ne sait pas ce qu'est aimer! et il a trahi doublement notre confiance à tous!
C'est un instable, gravement malade, et l'enfant à naître ne sera pas viable, ou tout du moins handicapé mental.Tu es trop jeune pour assumer, tu n'as pas terminé tes études. Nous avons parlé au toubib, il est de notre avis, il te reçoit demain et il t'explique."
C'est comme si on m'enterrait vivante, j'avais le goût de la terre dans la bouche lorsque je leur ai crié que c'était impossible, que j'aimais le bébé de Rachid, handicapé ou pas, et que j'aimerai Rachid, même s'il m'avait trahie, ce dont je doutais haut et fort!
Mon oncle surtout et sa femme ont été les plus acharnés et les plus odieux envers moi. Jamais je n'oublierai leur attitude et leur expression de fous sanguinaires à mon égard. Toujours égaux à eux-même, ceux-là!

Je suis allée aussitôt trouver ma soeur, elle m'a promis d'intervenir sur le champ.

Le docteur m'a dit que j'étais totalement inconsciente, coucher avec un épileptique (ah, ça, mais je ne m'en étais jamais rendue compte, sans blague!). Que c'était le fils d'un dangereux maffieux, complètement caractériel et présentant des signes indubitables de schyzophrénie au dire de tous ses éducateurs (il en a épuisé plusieurs! ah bien! je n'aurais jamais pensé...)
Cette fois l'enfer me tombait sur la tête (pourquoi pas autiste par dessus le marché et blénoragique , non?)
et que par conséquent, je ne pouvais garder le bébé, et que de plus avec sa phobie de pas avoir connu son père, Rachid viendrait enlever son enfant et que je ne les reverrais plus de toutes façons, et puis que rendez-vous avait été pris avec la clinique.
Je me suis défendue comme une tigresse, si j'avais pu le mordre! J'ai expliqué, peine perdue, je suis mineure, et puis, après tout, je dois considérer cet acte comme un acte médical naturel, rien de plus thérapeutique que de supprimer un être non viable!

Pas viable notre bébé conçu dans l'amour???

                                               (à suivre)

 

 

07 juillet 1998

 

Au temps de la honte

 

J'ignore ce qu'il s'est passé entre ma soeur et mes parents. Personne ne m'en a jamais reparlé.

Par contre les autres passent leur temps à me sermoner: "Non seulement Rachid est en fuite, mais c'est un dangereux malade!"
Ils sont tous fous! C'est eux qui sont malades!
J'espère un miracle au dernier moment! Ils ne peuvent me faire ça, ils ne peuvent pas tuer la vie et l'amour en moi! NON!
Je pleure sans cesse, je ne peux rien avaler, j'ai mal à mon bébé!

"Je suis le chef de famille, j'ai le droit de vie et de mort sur les miens! Lorsque le troupeau est en danger, on abat la bête malade, tu le sais!"
Voilà mon père, le berger a tranché! Je dois m'estimer heureuse d'être toujours en vie...
Il m'a forcé à lui dire que je regrettais ma "faute"! à lui demander pardon, à le remercier de me laisser la vie, contre celle de l'enfant, à le supplier de ne rien tenter contre Rachid et ses frères.

Je tue le temps en comptant les jours qui me séparent du rendez-vous à la clinique, plus rien ne compte, puisque Rachid ne reviendra pas!

                                            (à suivre)

 

 

24 juillet 1998

 

Au temps de la haine

 

On m'a jeté dans la voiture avec ma valise et trainée dans la clinique. Un endroit crade et sombre comme je n'en ai jamais vu! même l'enfer est plus beau!

Le "chirurgien" a parlementé avec mes parents un moment, je les ai entendu dire:
"A vif, elle est très dure au mal,  elle s'en souviendra comme ça, elle ne recommencera pas!"
J'ai failli tourner de l'oeil en suivant leur pensée. Mon coeur se soulève, quels pourris!

La honte suprême: me dévêtir devant cet homme, écarter les jambes, laisser pénétrer les instruments de torture métalliques! J'hallucine, pourquoi pas une aiguille à tricoter?

-La douleur surpassera l'horreur! Respirez et mordez ceci! (une espèce de barre en caoutchouc nauséabond)
Vous l'aimiez?
Je fais oui de la tête.

Mes entrailles hurlent, je mords de toutes mes forces, je sens les yeux me sortir de la tête. Je respire, je respire...
-L'enfant tient bon, je ne peux le tirer!
-Continuez! crie ma mère
-Il ne veut pas quitter ses entrailles, je regrette.
-Continuez!
-Je ne poursuivrai pas.
-Cette oeuvre du péché doit disparaître!
-Vous l'aimiez tant que ça ma pauvre enfant?
Je tourne la tête et j'éclate en sanglots, le bidule puant tombe et roule à terre.
-Pleurez, ça va vous détendre, allez-y!

Le chirurgien boit mes yeux implorants, il sue à grosses goûttes
-Je n'y arrive pas!
-Vous êtes médecin ou non? Cet enfant n'est pas viable, il sera un monstre, vous avez lu le certificat de notre docteur, faites-le par pitié pour elle! et pour lui.
-Pitié?

Le chirurgien hoche la tête et m'abandonne pour aller vérifier le chiffon de papier présenté par ma mère. Impossible de fuir, je prie.

-Bon, mais dites-vous bien une chose, ils devaient s'aimer drôlement ces deux là pour que le foetus s'accroche ainsi, je n'ai jamais vu ça! Depuis que je professe, non, je n'ai jamais vu un truc pareil, vous en prenez la responsabilité?
-oui! a dit mon père.
Les salauds! Ô Miséricordieux, c'est le moment de m'aider un bon coup!

A force d'acharnement et de boucherie, de douleurs atroces, intenses, indescriptibles, peut-on souffrir davantage? on parvient à l'arracher lambeau par lambeau cette chair de ma chair qui ne voulait me quitter!.
-Pourquoi avoir attendu plus de trois mois? Au début, ça n'aurait été que l'affaire de quelques minutes!

Silence.

C'est comme si on me tuait autant de fois que de morceaux retirés. Ma douleur n'a d'égale que ma haine.
Il me semble que je n'aurai jamais assez de temps de vie pour toute la comprendre et la boire!

Si je ne deviens pas folle c'est que j'ai la baraca, ouais!

Jour de fête, jour de deuil pour toujours!

                                            (à suivre)

 

(Kadour: étoile de K. sentinelle Fils de Rachid...)

 

 

08 août 1998

 

Au temps de la "correction"

 

Je suis très faible. Je ne me remets pas.

Je n'ai pas encore revu ma soeur. Que s'est-il passé?
Plus de nouvelles de personne. Je suis comme dans un désert sans limite. Bouffée par le sel!

Je pense toujours et encore à Rachid. Je pleure des heures en revivant la mort de notre petit Kadour!
Je ne peux croire aux maladies de Rachid, jamais il n'a été comme ça avec moi, ni à son travail avant qu'il le quitte!
Et s'ils m'avaient menti? TOUS?

Je demanderai à Nabil, ils ont été élevés ensemble, il doit savoir et peut-être a-t-il de ses nouvelles?

Mes parents ont décidé de m'envoyer en "villégiature" (en colonie disciplinaire oui!) dans la famille du côté de Marseilles, je ne les ai pas revus depuis longtemps, pourvu qu'on ne leur ait rien raconté sur moi!

Ils sont venus m'accueillir au train, plutôt froidement, ils doivent savoir...
Seul Joseph, le correspondant allemand de mon cousin Moshe, m'a souri.
Ils me considèrent comme leur domestique au pair! et je dois passer beaucoup de temps en tâches ménagères et à neurser les gosses. Je ne proteste pas, ça m'occupe et Joseph me tient souvent compagnie. Ce qui ne plait guère à ma tante.

Il est tendre Joseph, presque autant que Rachid, et ça tombe bien! Car, de la tendresse, j'en ai furieusement besoin!
                              

                                                   (à suivre)

 

 

 

25 août 1998

 

Au temps de l'imprudence

 

Samedi matin:
Ce week-end, ils vont tous à la plage, mais je ne suis pas du voyage, je dois "garder" la maison!
Comment faisaient-ils lorsque je n'étais pas là? Qui la gardait la maison?  Peut-être n'allaient-ils jamais à la plage!

Joseph m'a donné rendez-vous dans un bar, mais pour le rejoindre, pas d'autre moyen que de faire du stop. Ca ne sera pas la première fois, peut-être la dernière!

Un gars s'arrête pour me prendre. On discute, il a l'air sympa.
Le moteur hoquette et se tait en pleine campagne, à l'orée d'un bois. Le gars descend, fouille sous le capot en jurant. Ca pourrait être comique s'il s'appelait par exemple De Funes, mais on n'est pas dans un film!
Je fouille dans sa boîte à gants, pas d'arme, mais ses papiers, quelle aubaine! Miguel Esteban R.  domicilié à Sète. Je les flanque avec les miens sous le siège passager, ça peut toujours servir!

Gibier aux aguets, je respire par le ventre, tous mes sens sont en eveil, mes muscles bandés, je suis prête à toute éventualité.

Le gars revient au volant après avoir claqué le capot, il tourne plusieurs fois la clé de contact. Rien.

"Ah ces putains de carburants de grandes surfaces! Bon, je pense qu'il y a une habitation puisqu'il y a une ligne téléphonique, on a qu'à la suivre, on arrivera bien quelque part où téléphoner."

(A-t-on le choix?)

Je le suis de mauvaise grâce sur le sentier. Il me chahute, j'esquive, le repousse fermement sans violence. Ne pas provoquer la violence... J'ai peur que ça ne tourne mal.
Lorsque nous sommes à bonne distance de la route et à couvert, il me pousse contre le talus, je trébuche, il me plaque au sol. On y est! Trop faible encore, toutes mes ruses en arts martiaux n'y suffiraient pas. Petit, mais nerveux, une force incroyable!

Je ne crois pas que ce soit un jeu. Il cherche ma bouche. J'arrête de me débattre. Après tout, c'est ma faute, je n'avais qu'à pas faire de stop!

Je lui dis fermement:

-Je sais très bien ce que tu veux, alors fais vite, te gène pas, et pas d'embrouille, parce que tes papiers, je les ai planqués, et si tu veux les revoir, t'as intérêt à ce que je sois en état de te dire où ils sont!

-Salope, je te ferai la peau!

-Tu me feras rien du tout, sinon, tu signes ton crime, les poulets retrouveront tes papiers avec les miens! et bien avant toi!

Il m'a crue. Et moi j'ai "plongé en apnée" = je ne sens rien, il ne se passe rien, même pas mal, peu importe!

 

Enfin il se relève et me dit

-Où sont les papiers?

-Emmène-moi à la prochaine ville, et là, je te dis où tu pourras les retrouver tes papiers!

                                                (à suivre)

 

 

 

 

Au temps du vaudeville

 

Samedi 11 heures:
On a regagné la voiture, démarrage au quart de tour et sur les chapeaux de roue!
En plein milieu d'un marché, alors qu'il ralentit presque au pas, j'ouvre la portière, récupère en douce et  prestement les papiers, lui dis: "stop!" et saute hors de la voiture, puis je crie: "les papiers sont dans le fossé, là où on était en panne!" et je trace dans la foule en direction du premier café venu, j'entre et demande les toilettes. Dégueuler tout mon saoûl, m'essuyer, me laver, passer de l'eau sur mon visage, me recoiffer. RIEN, il ne s'est rien passé, tout est dans l'ordre!

Samedi soir:
Je suis loin de la plage, et à peine assez de fric pour prendre le bus du retour. Alors je zone au hasard, je rencontre une bande de motards, le chef me trouve à son goût et me fait monter derrière lui sur sa kawa, je passe le reste de la journée à glander avec eux, c'est ainsi que je peux partager leurs ships, leur bière et leurs clopes. Le soir arrive, on est à la terrasse d'un café, ils tirent au sort qui passera la nuit avec moi, mais le chef n'est pas d'accord! Mon Dieu, dans quoi je me suis encore...! Ils commencent à s'échauffer, et le chef à cogner, du fait, la patronne appelle les flics pour éviter la casse et on se retrouve tous en moins de deux bouclés pour la nuit au poste!

"Tu n'as pas honte? tu n'as pas honte?" me crie la famille venue en hâte me récupérer.
Non, je n'ai pas honte de les mettre un peu dans l'embarras et de plus d'avoir échappé au "tirage au sort"! J'ai la baraca! Une fois suffisait pour la journée!
Je n'ai qu'une peur, me retrouver à nouveau enceinte, si c'est le cas, je saurai où trouver le père, j'ai conservé sa carte d'identité à l'Esteban, à condition que ce ne soit pas un "faux".
Je rigole en pensant à sa tête lorsqu'il aura eu fouillé le fossé et sa caisse de fond en comble. J'aurais dû porter plainte! Maintenant avec ce qui vient de m'arriver, à quoi bon?

Derniers instants avec Joseph, puis on me jette dans le premier train en partance vers le nord "On t'enverra ta valise après" Sans blague, ils veulent fouiller si j'ai pas de came ou quoi? Peuvent toujours y aller! Je prends assez de médocs comme ça!
Joseph ne parvient à me lacher la main que lorsque le convoi s'ébranle "N'oublie pas! n'oublie pas!" Pas de danger, je ne vais pas oublier une minute de ces dernières heures, je te le promets!

 

                                          (à suivre)

 

(Etre le dindon de la farce!)

 

 

 

26 août 1998

 

Au temps du retour de l'enfant prodigue

 

Samedi dans la nuit:
Le train est pratiquement envahi de permissionnaires retournant en caserne "taratata, c'est le clairon qui sonne!"
Et moi, je n'ai qu'une peur, c'est que l'un d'eux porte la main sur moi, je passe le reste de la nuit recroquevillée dans le soufflet entre deux wagons, un trouffion me porte une couverture et partage sa clope avec moi. Le monde entier n'est pas pourri!

(une clope, deux clopes...six clopes)

 

Dimanche matin:
A la descente, ma soeur et Nabil m'attendent, catastrophés.
C'est ainsi que j'apprends ce qui est arrivé: ma soeur est réellement aller plaider une deuxième fois ma cause et faire ses propositions, toute la famille lui est tombée dessus à bras raccourcis, et on lui a cloué la bouche. De plus, on lui a affirmé que j'avais changé d'avis et comprenais que je devais me séparer de cet enfant, comme renoncer à mon amour.
Nabil avait eu des nouvelles de Rachid: il avait été renvoyé sans explication de son travail et avait retrouvé tous ses effets devant la porte, sur le pavé. Il s'était présenté chez les parents, on lui avait répondu à travers la porte que j'étais en cavale avec un autre et que je ne voudrais jamais le revoir. Toutes les lettres qu'il a écrites lui ont été retournées "inconnue à l'adresse". Il a longtemps rôdé dans le coin, espérant me voir, me parler, avoir une explication, puis il est finallement parti pour Gibraltar où il pense avoir une piste pour retrouver son père.
Nabil n'a pas osé lui dire ce qu'il m'était arrivé:
"Il aurait tué tes parents, et on l'aurait mis en tolle!"
Je me suis entendue répondre très vite:
"Vous avez raison! Je préfère qu'il ait une chance de s'en tirer, lui!"
Mais c'était trop énorme tout ça, comment était-ce arrivé et pourquoi à nous et à ce bébé innocent? pourquoi?
Je hurle comme une folle en me cognant partout, je frappe la terre "Terre ouvre-toi, terre fends-toi!" mais la terre ne s'est pas ouverte!

Nabil me maîtrise, et me berce dans ses bras
-S'il t'aimait vraiment, il ne serait pas parti après son putain de père!
Pense à toi maintenant, tu dois te soigner correctement.
-Non, je veux crever, tu m'entends crever! Et les voir crever TOUS!
-Va dormir, après nous aviserons, repose-toi! Tu peux rester chez nous quelques temps

Je vais me coucher, dormir, oublier, me réveiller et dire: "Ce n'était qu'un cauchemar de plus!"
Il ne s'est RIEN passé, rien, tout est dans l'ordre!

Il y a un "ordre" dans tout celà, mais lequel, mon Dieu, lequel?

 

                                               (à suivre)

 

 

02 septembre 1998

 

Au temps des soins (première semaine)

 

J'ai enduré toute la semaine au lit, à hurler, gémir, me cogner dessus pour que ça dissipe mon mal à l'âme, au cerveau, au psychisme, rien ne m'a soulagé, aucune parole, aucune drogue, aucune nourriture! Je souffre incroyablement, mon cerveau est comme pris dans un étau tournant, il me semble que mon supplice n'aura pas de fin, ,et que même si je mets fin à mes jours, mon cerveau restera ainsi tordu, et que je souffrirai pour l'éternité!
Le toubib a décidé et cette fois, ce ne sera pas la maison de correction, mais l'Asile!
On me boucle pour que je me la boucle un certain temps! et départ immédiat!

Lundi soir:
Tout m'est égal, mais j'aurais voulu pleurer seule. Or pas de chambre seule pour les suicidaires!
Je la partage donc ma chambre avec Gigi, une prostituée volubile, alcoolique en cure de désintox, sa troisième cure ici...
C'est une violente, elle fume comme un pompier, tout ce qu'elle trouve, mégots y compris.

On m'a supprimé tous mes médicaments, on m'a interrogée sur tous mes antécédents.
-Le traitement ne vous a pas réussi, semble-t-il.
C'est la première fois que vous venez ici, ce ne sera pas la dernière, quand on y a goûté, on ne peut plus s'en passer! Dit la médecin chef, une Doudou martinicaise qui parle en oulant les "r" et avec la douceuw d'une powte de pwison! Elle n'a pas l'air de croire un mot de ce que je raconte! Et ça me donne la wage! (la rage)

Qu'elle ne vienne pas trop me chercher la Gigi, en tous cas, sinon, moi aussi, à l'occasion, je sais cogner!

                                                              (A suivre)

 

 

03 septembre 1998

 

Au temps des soins (première semaine)

 

Mardi matin:
L'équipe médicale est passée, en cinq minutes, ils ont noté ce que je disais, pourquoi j'étais censée avoir débarqué là! J'ai demandé un entretien spécial avec la psy responsable du service et peut-être dans trois jours...

En attendant pas de visite, sorties interdites, ça tombe bien, j'ai envie que de rester au lit, et de voir personne. Juste téléphoner à ma soeur, ce qui me prend parfois plusieurs heures, le reste du temps c'est Gigi qui essaye de débrouiller ses emmerdes!

                                     (A suivre)

 

 

04 septembre 1998

 

Au temps des soins (première semaine)

 

Mercredi matin:
Ils ont changé mes médicaments les vaches et c'est pas du générique! Je réclame les miens, ceux que l'on m'a confisqués. On prétend qu'il faut les commander spécialement, je prétends, moi, qu'il y en avait assez au moins pour 15 jours! Je fais alerter mon toubib par ma soeur. Il intervient en effet et me rappelle. Mais je garde l'oeil et demande à Nabil de m'en faire passer à la première occasion.

Non seulement, nous sommes deux par chambre, mais l'on entend tout ce qu'il se passe dans les chambres contigües! Il y a une portugaise alzheimer qui tombe sans cesse à bas de son lit, qui gémit, qui implore. Et une compatriote oranaise, la sémillante Samira, divorcée, dont on vient de cambrioler et mettre à sac la demeure.
Elle reçoit les experts d'assurance, les assistantes sociales, le délégué de sa banque car on lui a également braqué ses chéquiers et la banque refuse son opposition, et veut qu'elle casque!
Pour arranger le tout, sa plus jeune fille qui se droguait est en cure de désintox du côté de Dax, et son aînée vient de faire une grave crise d'asthme pour laquelle elle a été hospitalisée.
Inconsolable, elle a jeté son dévolu sur le fils attentionné de la portugaise, et on les entend roucouler tous deux dans tous les couloirs! Elle s'entretient le reste du temps avec des correspondants de sa famille auxquels elle raconte tout, mais TOUT ma fille, on est au courant jusqu'au dernier moindre soupir!

Il y aurait de quoi sourire si l'on était là où l'on est!

Mercredi soir:
Heureusement qu'il y a Gigi! Bien qu'elle me saoûle avec ses histoires, ses répétitions, ses confusions, dues à l'alcool. Elle n'a plus de fric, son tuteur se fait injoignable, elle ne peut plus téléphoner. Je l'aide à récupérer le tabac qui l'aide à tenir! Le soir après la dernière tisane, on prie un moment ensemble, elle me file sa "Gédéon" et je lui lis quelques versets qu'elle me demande de commenter, elle a les yeux en plus mauvais état que moi!
La nuit, ou bien elle s'oublie dans son lit, sonne pour qu'on la change, elle se fait engueuler parce qu'elle n'a pas mis sa couche! Ou alors elle erre en quête de cigarettes, tisanes, cafés, conversations avec les veilleurs de nuit.
Mes nuits sont brêves, peuplées de cauchemars, de boucheries, de violences extrêmes, de viols. Rachid me manque, je le cherche, je crois le saisir, il se dissouds, m'échappe, je n'embrasse que son ombre ou son souvenir impalpable. Je vois notre bébé, un magnifique garçon qui me sourit et me tend ses bras potelés...
Je revis indéfiniment les derniers mois, les dernières semaines, rien ne m'en console, c'est l'horreur la plus absolue et noire, je me tourne, et retourne dans mon lit, je gémis en me berçant. "Ta gueule!" me crie Gigi, "Ferme-là ou je t'étouffe avec ton coussin!" Elle serait bien capable cette branque! je file aux toilettes, assise sur la cuvette j'attends la nausée, je me mords les poings, je guette le départ de mes fantômes.

                                                              (A suivre)

(Angoisse)

 

 

05 septembre 1998

 

Au temps des soins (première semaine)

 

Jeudi matin:
On a changé la portugaise de chambre, le conte de fée de Samira tourne court, mais elle veut s'accrocher et encore y croire. Cependant elle refuse toute nourriture.
Sa fille est en cavale, et les éducateurs téléphonent sans répis!
Elle a une nouvelle compagne de chambre, Nadja, jeune cadre marocaine, violée pour la troisième fois par son beau-père. Nadja jure qu'elle ne restera pas plus de trois jours ici, le temps des examens cliniques, des dépositions, et que l'interdit soit signifié à son beau-père, plus de trois kilomètres pendant cinq ans au moins, si ce n'est plus car il y a récidive.
Elle ne sait pas que dans trois jours, ce lieu lui sera un hâvre familier, bien plus accueillant que sa famille. Je le lui ai dit, mais elle a refusé de me croire.

Jeudi midi:
J'ai eu mon entretien avec la psy. Je lui ai expliqué mon parcours. Elle a pris note, sans commentaire. Je lui ai réitéré ma demande au sujet des médicaments spéciaux que je prends, à ne pas substituer. Je lui ai demandé l'autorisation de jouer de la kéna dans le parc lorsque j'irai mieux, aux heures de promenade. Elle n'y voit aucun inconvénient.
J'ai trouvé, à l'écart, sur un promontoire, un banc dont le béton est idéal pour produire des percussions, et d'où je ne dérangerai personne avec ma flûte.

 

(Le banc blanc sous le sycomore)

                                                        (A suivre)

 

 

06 septembre 1998

 

Au temps des soins (première semaine)

 

Vendredi matin:
Depuis trois jours, Daisy squatte notre chambre, notre fauteuil, taxe les rares cigarettes de Gigi, elle a une montée terrible de blues! elle part en fin de semaine, pas de pitié pour les TS, dix jours maximum... faut laisser la place à d'autres. C'est une danseuse togolaise, son mec est vaguement peintre, rien qu'à lentendre parler, je l'imagine, ivre, prêt à la frapper si elle ne veut pas continuer le tapin!
Elle voudrait se reconvertir dans le social, elle sait taper à la machine et en prenant des cours de secrétariat, peut-être...est-ce qu'elle croit vraiment à ce qu'elle raconte là? Moi je n'y crois pas un brin! En attendant, elle pleure dans notre gilet, comment faire autrement que de l'écouter? et de compatir.

Vendredi soir:
Un prêtre est passé, à ma demande, il m'a écouté en particulier, il a prié avec Gigi et moi, à ce moment elle ressemblait à un ange. Elle était redevenue la jolie jeune fille svelte et pure, d'avant sa dégringolade! Gigi, elle ressemble actuellement à un phoque ou un morse, elle est super marrante lorsqu'elle se met à sauter sur son lit, à poil. Elle a de gros problèmes, ses règles ont disparues depuis six semaines, l'alcool (la bière surtout), le tabac. Son mec a eu un accident à vélo, il a été hospitalisé, puis transféré vers une destination inconnue, on lui a fait dire que son traumatisme crânien lui a fait perdre la mémoire et qu'il n'a plus l'usage de ses jambes. Un ancien mec qui possède encore ses meubles l'a menacée plusieurs fois au téléphone, elle lui a raccroché au nez.
Sa fille ainée vient de tomber inopinément enceinte d'un gars propre à rien, alcoolo et j'en passe, sa cadette est rentrée à la maison après une fugue de huit jours, retrouvée en coma éthylique, sur le banc d'une gare après s'être faite repérer dans tous les bars de la ville avec des gars louches, elle décuve actuellement!
Le super-pied!

Elle me raconte sa vie, petit à petit, entre deux crises mystiques et trois colères ou fureurs contre les psys, ou les taxeurs de clopes, ou ces anciens mecs.
A neuf ans, elle a été pistée dans l'une des ruelles qui reliaient son lotissement à l'école, par cinq gars qui l'ont successivement violée, et l'auraient achevée si le grand frère inquiet n'était venu au devant de sa soeur et ne les avait mis en fuite. Convoquée plusieurs fois au commissariat, elle n'a pu clairement identifier tous ses agresseurs, un seul a été condamné, mais l'horrible salissure est demeurée. Fuite dans l'alcool et les fêtes, ses parents étaient plus ou moins forains. A seize ans, un beau gars la remarque et la met enceinte, mais il est très violent, et boit énormément, alors qu'elle est enceinte de sa deuxième fille et qu'ils fendent le bois, il lui dit brûtalement: "Mets ton pied là", elle le fait croyant que c'est pour coincer une bûche, mais, en fait, l'homme lui donne un coup de hache sur le coup de pied, heureusement, elle a des bottes en cuir, et n'a que le pied tranché, et non sectionné! A l'hôpital, elle refuse la visite de son mari, qui réussit tout de même à pénétrer dans sa chambre, à la tirer par les cheveux jusqu'aux toilettes, il lui plonge la tête dans la cuvette, urine par dessus puis tire la chasse, elle essaye de se débattre avec les mains, il la lache en riant et en la traitant de tous les noms.
Elle court à la sonnette, demande qu'on fasse sortir le forcené, et qu'on l'empêche réellement de revenir. Après l'accouchement, reprise de la vie commune où monsieur s'est radouci. Mais la violence continue, sur Gigi, et sur ses filles, une nuit, vers deux heures du mat, alors que son mari est saoul et ronfle en travers du canapé du salon, elle réveille ses deux filles et part à pied vers un foyer qu'on lui a indiqué. elle y passe six mois, puis rencontre un gars qu'elle pense honnête et s'installe avec lui. Pendant ce temps, son mari essaye plusieurs fois vainement d'enlever les fillettes et de se faire confier leur garde. Le gars n'est pas honnête, c'est un trafiquant et un proxénète, il la met vite au boulot. Elle gagne bien, elle peut même garder du fric pour s'acheter des toilettes et gâter ses filles. Un jour, un client fait des allusions obscènes devant ses enfants et l'ainée lui pose des questions. Elle se dit qu'il ne faut pas qu'elle les garde avec elle. Le gars qui lui doit de l'argent a promis de la payer, il lui a donné rendez-vous dans un café,  elle s'y rend. Pendant qu'elle attend, assise, elle l'aperçoit à une autre table et le voit sortir quelque chose de sa veste, elle n'a que le temps de se baisser machinallement et la balle qui lui était destinée se loge dans le mur à la hauteur à peu près des yeux! Le gars est maîtrisé, le commissaire chargé de l'enquête prend Gigi sous son aile "Tu mérites mieux que ça, ma beauté!", oui, façon de parler! Il l'installe dans un bel appart, l'habille comme une princesse orientale et elle reçoit des hommes "bien", en attendant ses filles sont en pension, et elles voient davantage que leur mère. leur père qui les met à la bière, comme lui!
Mais le commissaire compatissant joue double jeu, et Gigi se fatigue à plaire à d'autres, elle s'enfuit, et c'est la dégringolade, elle retombe sur son ancien proxénète qui la menace, elle fuit encore, n'ayant pas d'autres ressources se prostitue et carbure à la bière. Plusieurs cure de désintox, plusieurs copains, dont un à qui elle paye, par amour, une moto (celui qui la menace sans cesse au téléphone), puis enfin un gars bien, pas louche, Max, un amour! qui l'aimait autant qu'elle l'aime, avant cet accident de vélo! et sa vie est à nouveau brisée!
Elle n'a aucun recours, ils sont juste à la colle, elle ne peut exiger qu'on lui révèle son lieu de soins!
Eux (les médecins), elle sait ce qu'ils veulent: qu'elle rende les clés de l'appart de Max! Alors les clés, on les planque dans ma pochette avec mes papiers et les médicaments que m'a fait passer Nabil, et cette pochette, je ne m'en sépare jamais, même lorsque je dors.

                                                                   (A suivre)

 

 

07 septembre 1998

 

Au temps des soins (première semaine)

 

Samedi midi:
C'est le jour du départ de Daisy, toute la nuit, elle nous a trainées avec elle devant la télé, puis à la tisannerie pour boire tout ce que les infirmières ont bien voulu lui offrir. Elle a vraiment la trouille de partir. Quelques minutes avant le départ, elle vient encore nous trouver dans la chambre, taxer des cigarettes à Gigi.
-Tu n'a pas la trouille toi? me lance-t-elle
-Non, j'ai le Seigneur avec moi!
Elle éclate de rire!
-Ben ça, c'est la meilleure! Et qu'est-ce qu'il a fait ton seigneur pour toi? regardes où tu en es!
Je hausse les épaules!
-Je sais ce que je sais!
Je les prend en photo toutes les deux, côte à côte comme deux soeurs, la noire et la blanche!
Gigi lui offre une rose arrachée aux massifs du parc.
En fait, à l'heure dite, son gars se fait drôlement attendre! alors elle commande un taxi à ses frais, et nous la voyons disparaître en pleurs, grands signes "je reviendrai vous voir les filles!" tu parles!

                                                     (A suivre)

 

 

 

08 septembre 1998

 

Au temps des soins (deuxième semaine)

 

Dimanche matin:
J'écoute le culte au poste et je suis les lectures sur la bible, pendant que Gigi est allée fumer.
Puis je chante des mélodies berbères. Les infirmières et les aide-soignantes remarquent que je suis de bonne humeur.
-Non,c'est lorsque je suis triste que je chante ainsi.
-Allez, faut pas être triste, tant qu'on a la vie! Tout va bien pour vous non? petit madame, c'est pas comme pour votre compagne Gigi, hein, c'est quelqu'un celle-là! Faut se la farcir!


(Pas la peine de répondre!)

Dimanche midi:
Mes parents ont décidé de venir me rendre visite puisque c'est autorisé à présent. Pas bonne idée ça, à quoi ils pensent! Je m'épanche auprès de Gigi, elle comprend! Mais elle me dit: "C'est tes parents, tu peux pas faire autrement, laisse les parler, eux, et ferme tes écoutilles!" facile à dire, hein!
Les voilà, tout endimanchés, ma mère veut tout savoir, je monosyllabe, je parviens à articuler Rachid, pour déclancher les foudres de mon père! Prévisible... je n'en saurai pas plus évidemment!
On commande une limonade, un pensionnaire s'asseoit à nos côtés et se met à faire la causette, il nous raconte ses "manques", ma mère tempête, elle voudrait le faire dégager, je lui dis que là, on est "chez nous", et que par conséquent, c'est à eux de s'adapter!
Il est enfin temps de se quitter, je suis au bord de la crise de nerf, ma mère me trouve maigrichotte, pâle et triste. J'ai envie de mordre! Je ne me force ni à sourire, ni à les raccompagner.
Maman a laissé une magnifique veste pour Gigi dont je lui avais parlé, ainsi que deux pyjamas et un jean, elle pourra enfin se changer! Elle a les larmes aux yeux en enfilant la veste : "C'est pour moi? vraiment pour moi? Oh qu'elle est belle!" et puis ils ont apporté des cigarettes blondes, c'est toujours ça, je les lui donne toutes avec le briquet. elle m'embrasse comme une soeur. "Ben, ils sont drôlement gentils tes parents! Pas vrai?"
Oui, quelque part c'est vrai...loin, très loin, avant que papa ne soit trop tendre et trop violent avec moi, je crois qu'ils étaient de vrais parents pour moi, avant que la guerre ne chauffe trop, avant que ma mère n'aie son cancer, avant, bien avant qu'on fiche le camp du pays! Quelque part très loin, j'ai été désirée et choyée. Quelques mois, quelques jours, quelques heures? Avant qu'on ne s'aperçoive que j'étais une fille et pas un garçon... Avant!

                                                    (A suivre)

 

 

09 septembre 1998

 

Au temps des soins (deuxième semaine)

 

Lundi soir:
Un ami pasteur est venu me rendre visite, il a tout écouté, il a prié avec moi et pour moi.
-Tu es la fiancée d'Osée, tu es la bien-aimée du Seigneur! Mystérieusement, il te garde en vie!
-Oui, je le crois, j'en suis sûre!
-Tiens bon!
-C'est très dur parfois, mais ici, on est tous à la même enseigne, on ne peut pas dire qu'un vaille mieux que l'autre! Je ne sais pas si je ne les préfère pas à ma famille!
-Ta famille c'est aussi celle de Dieu.
-Je sais.
-N'oublie pas!
-Aucun risque!

                                                             (A suivre)

(La croix du parc)

 

 

10 septembre 1998

 

Au temps des soins (deuxième semaine)

 

Mardi soir:
Gigi est partie chez le gynéco, avec Jean, un autre "pensionnaire", un alcoolo aux allures de mac, il m'a déjà fait des avances, que j'ai repoussées à ma façon ferme et cool. Mais je sais qu'il n'attend qu'une autre occasion pour revenir à la charge et je suis décidée, si je sors, à ramener un couteau!  Il en a fait pleurer plus d'une ces jours derniers, cependant, personne ne le dénoncera, on est tous solidaire ici!

Gigi revient, on lui a fait un lavement à l'eau saline, puis on lui a déclaré: n'êtes pas (plus?) enceinte!
C'est sûr ça! elle a un de ces mal de ventre, on l'a langée comme un gros bébé. Elle est infernale! elle me raconte que le taxi les a promenés dans tous les bas quartiers! et que Jean lui a proposé de l'alcool, mais qu'elle n'a pas flanché! Ouais, qu'elle dit! Les psys veulent la faire interner dans un autre établissement, plus sévère pour une vraie cure de désintox, mais elle veut retrouver son "chéri". Je l'aide comme je peux, moi aussi j'aimerais qu'on le retrouve et j'ai ma petite idée. Je demande au prètre qui visite également d'autres établissements s'il peut demander à visiter Max O. atteint d'amnésie et de paralysie, envers lequel il a été mandaté par sa soeur Valérie. Il ne me promet rien, c'est assez délicat, mais il va essayer. Je n'en parle pas à Gigi, pas lui donner de faux espoirs.

                                                                (A suivre)

 

 

11 septembre 1998

 

Au temps des soins (deuxième semaine)

 

Mercredi midi:

"On" a pris rendez-vous pour moi avec la sophro, mais je ne leur ai rien demandé, merde! Ils font comme mes parents. Bon, je vais lui raconter la panne de voiture, pour passer le temps! Elle m'accueille avec gentillesse et me demande pourquoi je suis là, je la préviens que l'histoire risque de durer longtemps, elle m'assure que non, elle a tout son temps, je commence, je rêve, la voilà qui s'endort! Elle n'a pas écouté le dixième de ce que je lui ai dit! Elle me donne rendez-vous dans une semaine, comme elle veut, elle! Moi je m'en fous!

 

Mercredi soir:

J'ai fait la connaissance de Fred, le seul homme battu que je connaisse, ce soir, sa femme et sa fille viennent le voir, puis il sera transféré sur Toulouse pour la suite de sa "cure". Il a l'air assez doux et résigné.
Il y a Dominque aussi, l'anorexique, elle a droit à une chambre particulière, elle ne prend pas assez de poids, on ne la relache donc pas! Et Claudine, son mari vient de mourir d'un cancer, elle ne supporte pas, alors TS! râtée bien entendu. Elle n'a qu'une idée s'enfuir d'ici et recommencer.
C'est comme Gigi, elle voulait qu'on se tire cette nuit, qu'on aille au gave et qu'on se jette dedans!
Je lui ai dit qu'il y aurait trop de brouillard, que l'eau serait trop froide et qu'on n'arriverait pas à rentrer avant minuit, donc que tout serait bouclé, qu'on serait forcées de coucher dehors, pas à la gare, car impossible, enfin un tas de salades qu'elle a heureusement crues! et qui l'ont détournées de notre suicide collectif, ouf!

12 septembre 1998

 

Au temps des soins (deuxième semaine)

 

Jeudi midi:
Ils ont pincé Jean avec de l'alcool, et ils l'ont viré sans cérémonie!
Toutes les femmes respirent, il était temps.
Je me suis faite embarquée pour l'atelier arts plastiques. Comme ça je peux dessiner et modeler impunément!
J'ai fait une statuette qui représente deux oursons siamois, l'un muselé, l'autre la corde au cou, le titre de l'oeuvre c'est "Ta gueule ou je t'étrangle!", autrement, j'ai sculpté des tas d'utérus et des glandes mamaires en veux-tu, en voilà, autrement, j'ai dessiné la femme africaine aux sept douleurs, j'ai voulu l'offrir à une toxico, qui en avait parlé, mais elle m'a ri au nez, alors je l'ai gardée pour moi!

 

(La femme africaine aux sept douleurs)

 

 

 

 

 

 

Jeudi soir:
Aujourd'hui le prêtre est repassé, miracle, il est sûr d'avoir vu Max! Il demande à parler avec Gigi, il lui décrit le malade qu'il a rencontré, elle pleure de bonheur, oui, c'est bien lui! LUI!
Il faut qu'elle obtienne une permission très prochainement pour essayer d'aller le voir, donc qu'elle se tienne tranquille quelques jours si possible: bien manger tout, pas d'injures aux infirmiers ou aux psys, pas de caprices, pas de "toilettes-nature" dans les buissons, même si incontinence, pas d'esclandres dans les couloirs.
Je vais l'aider, c'est important pour elle. Quand on déconne toutes les deux, on oublie, elle ses colères, moi mes douleurs!

                                                           (A suivre)

 

 

 

13 septembre 1998

 

Au temps des soins (deuxième semaine)

 

Vendredi soir:
L'équipe médicale a décidé de me faire sortir à l'essai pour le week-end.
Moi, je n'étais pas d'accord pour sortir, trop tôt, je ne suis pas du tout remise, je préfère Gigi, avec elle au moins, c'est sans surprise!
Mais il n'y rien eu à faire, que je m'estime heureuse qu'on me garde plus de 15 jours! Je ne mérite même pas cette faveur! Ah bon!...
Je pense qu'ils veulent aussi tester Gigi hors de ma présence. Elle a beaucoup changé à mon contact, mais qu'en sera-t-il si je ne suis plus avec elle?
On s'embrasse. Je passe à l'infirmerie, gentiment, on m'a préparé mes médicaments dans des enveloppes de couleurs différentes pour que je ne me trompe pas.

(motif d'une des grilles du couvent attenant au parc)

 

 

 

 

 

Je pars avec Nabil.

Je n'ai pas envie de parler avec lui, et je vais tout droit me coucher à la maison après avoir embrassé toute la clique. ILs n'ont même pas changé mes draps! Tant pis, suis moi-même trop zombie pour le faire!

                                                     (A suivre)

 

 

14 septembre 1998

 

Au temps des soins (deuxième semaine)

 

Samedi :
Petit matin, médicaments 6 heures, ne pas changer les habitudes, il faut que je prenne le petit dej par dessus, sinon, je vais faire une crise. Je cherche de quoi manger, rien nulle part! Mon frère passe dans la cuisine, je lui demande de quoi manger, il m'envoie paître, je lui dis que c'est vital, il m'insulte, dit que je suis une pauvre trainée bonne à rien alors tant pis pour moi! Je ne peux supporter celà et je le supplie de se reprendre et de m'aider, il me sort des broutilles d'enfances, des trucs pas possibles qui "montrent" que je lui en ai toujours voulu et autres foutaises! Je me défends avec la langue, il s'avance vers moi, menaçant, "Tu vas te taire? Mais tu vas TE TAIRE?" Volée de coups sur le crâne, je me sauve à côté des couteaux, s'il continue... Il avance ses mains formant comme un anneau vers ma gorge, et là je me souviens, oui! Déjà fait, déjà étranglé moi!
Instinctivement, je hurle "Au nom d'Allah, arrête!" Il continue, je recule et prends un couteau, je crie encore "Au nom de Dieu, arrête!", il mets ses mains autour de ma gorge, je lève le couteau dans son dos et arrive à crier une dernière fois "Au nom de Jésus, ARRETE!" alors il lache prise, je n'ai pas eu à frapper! Inch Allah! Merci! C'est mon frère!
Je masse mon cou et avale ma salive, je masse ensuite mon crâne.
-Je ne peux plus rester là! Je m'en vais!
Il est relativement calmé
-C'est ta faute, t'avais qu'à pas me provoquer!
-Hein?
Mais je ne veux pas faire remonter la tension.
-Je vais voir maman!
et je file à la chambre des parents.
Je les réveille pour leur expliquer.
-Si ton frère s'est mis en colère, c'est que tu as dû le chercher!
-C'est ça! Vous voulez que je vous explique ou vous voulez vous faire un film tout seuls?
-Bon, raconte!

Une bonne heure est nécessaire pour rassembler tout le monde à la cuisine. Mon frère bien loin de s'excuser, affirme qu'il recommencera volontiers, ma mère me fait taire, et je n'ai toujors pas mangé!
Je déclare calmement que dès que je peux, je file à la gendarmerie pour tout expliquer, ça et tout le reste, et que je n'aurai aucun mal à faire éloigner les violents et les violeurs!
Ou alors tout le monde se calme mais vraiment, et sans récidive!
Je menace aussi d'aller retrouver Rachid à... j'avale le nom de Gibraltar afin que mon frère ne s'y rende pas pour lui faire la peau!
-Qu'est-ce que tu racontes? hurle ma mère
-Rien, je sais ce que je sais, c'est tout!
Vous m'avez trompée, vous l'avez trompé, si vous ne me lachez pas la grappe, je balance tout aux flics, ça et le reste! TOUT, vous m'entendez, tout! Parce que marre c'est marre! Et trop, c'est TROP!
Mon frère fait un geste à mes parents, qui le foudroient du regard!
Non, ils ne lui en donnent pas le droit, j'ai gagné! Triste victoire!

                                                                (A suivre)

 

 

15 septembre 1998

 

Au temps des soins (troisième semaine)

 

Dimanche:
Je commence la journée devant la télé, dans le fauteuil, avec une poche de ships et du coca, mais rien ne parvient à me détourner de mes obsédantes pensées, et dans l'après-midi, je sors.
Mes pas me mènent vers les eaux noires du canal, près du pont.
Lorsque je m'approche trop près du bord, je suis prise de vertiges et de nausée, je me dis que je pourrais très bien trébucher et tomber dedans...
Alors commence en moi un curieux débat où je me parle à la troisième personne:
-Elle ne comprend plus, plus rien n'a de sens pour elle, elle veut mourir!
-Elle doit avoir Patience et Confiance!
Lili veut  mourir, mais Tiger le lui interdit et lui demande patience, envers quoi?
Confiance envers qui?

Mon frère arrive comme un fou, tout essoufflé.
-Je te cherche partout! Tu vas pas te foutre à l'eau au moins?
-Et qu'est-ce que ça peut te faire? Hier tu voulais me zigouiller!
-Tu es ma soeur!
-Et hier aussi j'étais ta soeur! Je ne supporterai plus tes accès de violence! J'ai assez souffert!
-Toi, tu as souffert et de quoi et quand?
-Allez, va, laisse tomber! (Je suis dégoûtée de la vie!)

Il me prend la main et m'attire à lui, il veut m'embrasser et je le repousse.
-Ca suffit, merde!
-Je t'aime!
-Moi non plus!
On remonte sans dire mot, il est temps pour moi de repartir.
Je ne souhaite qu'une chose, ne plus avoir à le supporter, ni à le revoir! Si possible!
Mais c'est mon frère!

Dimanche soir:
Retour à l'hôpital, l'infirmière de service me demande
-Alors, vous avez passé un bon week-end?
Oui, sauf un problème.
-Urgent?
-Non ça peut attendre demain.
-Alors bonne nuit!
Ne pas commencer à entrer en palabres délicates devant Nabil, les histoires de famille sont les histoires de famille, et puis je ne veux pas qu'il puisse répéter à Rachid tout ce que je vis. Je ne lui veux que du bien à Rachid, qu'il retrouve son père et que ça le virilise un peu! Et qu'il puisse recommencer sa vie, le gachis pour moi ça suffit, je suis foutue, pas la peine qu'on soit deux! puisqu'on ne sera jamais trois!

                                                                        (a suivre)

 

 

16 septembre 1998

 

Au temps des soins (troisième semaine)

 

Lundi matin:
Ce matin, je vais tout raconter à l'infirmière et demande à voir la chef psy.
Mais la psy vient parler à Gigi, et ne m'accorde même pas un regard.
Gigi, je lui ai tout raconté "Ne retourne jamais chez toi, il te tuera!"
Je sais, mais j'ai pardonné, comme toutes les autres fois, sauf que cette fois sera la dernière, j'ai mis au courant mon toubib, bientôt la psy, s'il m'arrive quoi que ce soit...
On me fait dire que la psy est occupée avec l'ensemble du service, rapport aux congès tournants, et que de toutes façons, j'ai rendez-vous avec la sophro. Mais c'est pas pareil! Oui, bien, on s'en moque, c'est mieux que rien! Ah bon!

                                                               (A suivre)

 

 

17 septembre 1998

 

Au temps des soins (troisième semaine)

 

Mardi matin:
Gigi ne se tient plus, non seulement elle a obtenu une perm, mais la permission de voir officiellement son chéri d'amour Max. Elle prépare le trousseau de clé, les photos pour raviver sa mémoire, elle prend un bain entier! Elle me demande de l'aider à se maquiller pour être belle. Elle met la veste que lui a offert ma mère. Elle pose sur son lit: "Fais mon portrait Lili, que je le laisse à Max!" Je la croque rapidement, elle ne tient pas en place. elle regarde, toute fière
-Mais c'est vraiment moi là, avec mon petit air, et puis la belle veste, je suis belle, il va être content mon chéri d'amour, j'aimerais dessiner aussi bien!
-Mais tu sais toi aussi!
-Non, pas comme ça!
-Allez, le taxi t'attend, ne te mets pas en retard, bonne aprem!

 

 

Elle revient radieuse, jamais je ne l'ai vue ainsi! Illuminée de l'intérieur, translucide et rayonnante!
-On nous a laissés seuls un moment, il m'a pris la main et il m'a dit: "on se connaît!".
Je lui ai dit mon nom et je lui ai montré les photos, les clés, je lui ai donné des cigarettes.
Alors il a pleuré et il a dit "Gigi, mon petit coeur!" et on s'est embrassés, caressés, c'était bon!
Ensuite, il a essayé de faire quelques pas au déambulateur, mais un infirmier est venu et a dit que c'était trop tôt.
C'était merveilleux Lili, merveilleux! C'est comme un rêve! Je vais demander mon transfert là-bas, pour être auprès de lui, ils font aussi la désintox, et il y a des groupes de parole. Tu me manqueras beaucoup, mais je préfère mon Max chéri, tu comprends?
-T'es pas encore partie, Gigi! Faut qu'il y ait une place et ce matin je les ai entendu dire au téléphone dans le couloir que là, il n'y en avait pas pour le moment!
-Il y en a de la place pour qui ils veulent, tu vas voir, ils vont m'en trouver, crois-moi, dans huit jours, je ne suis plus là!
-Je te le souhaite!
C'est vrai qu'elle n'en est pas à son premier séjour ici! Elle connaît tout le monde, et tout le monde la connaît!
Aujourd'hui, j'ai recommencé à vraiment jouer de la musique au fond du parc et à danser autour du banc, puis, comme personne à l'horizon, j'ai tenté de grimper à un arbre aux branches basses. Et pour finir, j'ai reparlé aux oiseaux et aux escargots, j'ai fait courir les insectes sur mes bras et décliné le nom de chaque arbre, buisson et fleur au cours de mon exploration du parc. Il est magnifique ce parc, demain, je me le fais en photos!
Et puis j'ai fait une "rencontre", un gars qui me rappelle mon ex-meilleur-ami, mais en terriblement plus âgé, lui quand il sera grand-père ou arrière grand-père!

Mardi soir:
On a "oublié" de m'apporter mon repas, on n'a pu m'en procurer un autre, ils les font venir d'un autre établissement, je n'ai qu'à porter plainte demain...
Je ronge mon frein, Gigi me passe sa viande et son dessert, c'est mieux que rien!
En passant devant la chambre de la portugaise alzheimer, je l'ai entendue gémir, je suis entrée, elle était encore les quatre fers en l'air, je l'ai aidée à se remettre assise sur le bord de son lit, puis couchée, c'est tout un binze, elle ne comprend rien de ce qu'on lui dit! Un infirmier m'a surprise entrain de la border et m'a engueulée, je n'avais rien à faire ici!
Je suis sortie sans mot dire.

                                                              (A suivre)

 

 

18 septembre 1998

 

Au temps des soins (troisième semaine)

 

Mercredi midi:
La sophro est venue m'annoncer qu'elle partait prématurément en congès et ne pourrait me prendre. Je lui ai souhaité bonnes vacances et excellent repos réparateur.
Donc je ne verrai personne, fort bien!
Gigi est sûre de partir dès le lundi suivant retrouver son Max, sa fille Nathalie a téléphoné, elle veut garder son enfant, Valérie n'a pas encore complètement récupéré, mais déjà la maison est un souk et un enfer, elle en met partout, refuse de se laver, de coopérer au ménage, ne souhaite qu'une chose: boire de la bière et fumer!
Les infirmières lui ont dit que sa place serait davantage auprès de ses filles qu'auprès de Max, quant à moi, je pense  qu'elle, étant en phase de désintox en établissement, il vaudrait mieux qu'elle s'occupe d'elle  une bonne fois. Ses enfants ont un père après tout, soi-disant en bonne santé et d'excellente moralité! Elle en a convenu. Donc elle partirait lundi, avant moi. Notre duo est  en "surcis"...

                                                                    (a suivre)

 

(Le parc au couchant)

 

 

19 septembre 1998

 

Au temps des soins (troisième semaine)

 

Jeudi midi:
Enfin l'équipe médicale me visite: psy, Doudou martinicaise, infirmière du jour, infirmier responsable, chef aide-soignant. Je leur raconte mon aventure du week-end.
-Et c'était déjà arrivé?
-Oui, mais je ne m'en souvenais plus.
-Ces choses là ne s'oublient pas! a affirmé péremptoirement l'infirmière.
-Peut-être, mais moi, je les avais oublié!
C'est lorsque j'ai vu son geste que tout m'est revenu!
Une autre fois lorsque nous étions plus jeune et que j'étais sortie au delà de la permission de minuit! Il était venu me chercher en braillant, et à la maison, dans la cuisine, avait tenté de m'étrangler, si ma mère n'était pas arrivée, je serais morte!
-Vous pouvez rester chez vos parents, et continuer à vous reposer chez eux.
-Difficilement!
-Vous rentrerez chez vous vendredi soir.
-Ce vendredi soir?
-Oui, nous ne pouvons vous garder davantage, vous avez l'air reposée, vous êtes mieux.
-Si vous le dites! C'est ce que vous pensez vraiment?
-Oui! répond la Doudou
-Alors, tant pis! Mettez-moi dehors!

J'aurais cassé tout ce qui se trouvait dans ma chambre, peut-être n'attendaient-ils que celà?
-Vous n'avez pas joué le jeu! me dit l'infirmière
-Quoi, vous auriez voulu que je mette tout à sac?
-Vous n'êtes pas malade! Vous respirez la joie!
-Plaise à Dieu que je respire Sa Joie! vous auriez voulu que je ne me maquille pas, que j'erre comme un cadavre dépeigné, en chemise dans les couloirs, que je refuse la bouffe, que je ne me lave plus, que je vous insulte, que je vous taxe des cigarettes et que je fasse entrer de l'alcool en cachette ou quoi?
Heureusement c'est le jour de visite des bénévoles laïques, puis du prêtre, il me confesse, me donne le sacrement des malades, me fait communier et me souhaite bon retour et bonne débrouillardise pour continuer et survivre. Il a tout compris le brave homme!
Puis, comme il n'est pas l'heure de souper:
-Tu m'as dit que tu étais déjà allée faire des visites à des malades?
-Oui, c'est exact, section cancer, cure désontox et psychiatrie.
-Je vais visiter une malade en stade final, accompagne-moi.
-C'est où? c'est loin, je n'ai pas le droit de sortir!
-Etage supérieur!
-Bien, allons!
Comme c'est différent d'un étage à l'autre!
La déco déjà, les couleurs, la taille des chambres, la façon de s'exprimer des infirmiers envers les patients, même l'odeur de la bouffe! Un bain de rêve quelques minutes, eux, on les considère en être humains!
Reine est allongée, perfusée, elle regarde une émission de télé.
Le prêtre parle avec elle de leur dernier pélerinage à Lourdes: Cancer-espérance, je crois.
Il voudrait qu'elle témoigne pour sa feuille de choux, elle est d'accord.
Successivement arrivent son fils, sa fille et son petit-fils.
Après une prière, nous sortons. J'ai pris comme un bain de lumière!
Cette femme tranquille et cependant mourante, pleine de projets et de bonnes pensées pour ses enfants et son entourage.
-Ca valait le coup?
-Oui! Je suis heureuse de l'avoir vu!
On se quitte. Demain après-midi, je pars!

Jeudi soir:
Je commence la nuit en priant avec Gigi.
-Deux nuits sans toi, puis le départ moi aussi!
Qu'on ne me mette pas une vieille à côté ou je l'étouffe avec son coussin pendant qu'elle ronfle! J'ai prévenu les infirmières! Ils ne me mettront personne!
-Sacrée Gigi!
-Tu m'expliques si le diable existe?
-Pardon, tu veux dire quoi, là?
-Ben une nuit j'ai vu des êtres étranges, comme des démons, ils voulaient me tuer, ils sont entrés par la fenêtres et depuis ce temps, je ne dors plus la nuit!
-On va prier et leur ordonner de te laisser en paix d'accord?
Alors on prie un moment, et Gigi s assoupit tranquillement pour la première fois. Je quitte la chambre sur la pointe des pieds avec un bouquin. Les infirmières me talonnent, pas rester seule la dernière nuit! Pas moins de cinq fois me font raconter et revivre toute mon histoire, épouvantable exorcisme que je ne souhaite à personne! Cette haine qui sort de moi à l'état brut, ces cris de bête blessée... On me sert des tisannes, du chocolat chaud.  L'une d'entre elle me laisse entendre qu'elle parlerait au médecin chef, on ne pouvait me laisser sortir dans ces conditions!
Je finis la nuit aux toilettes où là, je peux vider mon chagrin et prier à nouveau tranquille.
Puis je regagne ma chambre, prend le petit dej, et me couche pour deux heures environ.

                                                         (A suivre)

 

 

20 septembre 1998

 

Au temps des soins (troisième semaine)

 

Vendredi fin de matinée:
Le médecin chef passe me voir, elle me confirme mon départ, je suis complètement déboussolée!
Je remplis rageusement mon sac, et me jette dans le parc, aurevoir à toute la nature, aux nuages, au soleil, aux oiseaux, aux fourmis, aux fleurs! J'aurais voulu apercevoir mon copain de banc, avec son chien, lui dire aurevoir, mais il n'était sans doute pas de sortie...
Je n'arrive plus à manger! Inutile de prendre le repas de midi! Je m'en vais en ayant perdu l'appétit et le sommeil, pour longtemps je le sais, c'est ainsi que "je vais mieux" comme ils disent! Ils ne peuvent plus rien pour moi! C'est ce qu'ils pensent, et qui pourra pour moi? Moi?!
Je pleure une dernière fois sur l'épaule de Gigi qui me donne sa future adresse et n° de téléphone. Je promets de lui envoyer les photos, je lui laisse le reste des cigarettes, des gâteaux, du chocolat. Je lui rends sa "Gédéon".  J'espère qu'elle saura s'en tirer avec Max.

 

(Petit mot d'adieu à Gigi)

 

Vendredi soir:
Nabil m'attend! Je pleure un long moment dans la voiture.
Je pars vers un ailleurs, lequel? Déchirée, faible, avec une certitude: le Seigneur ne peut m'abandonner!
C'est mon espoir, après tout, je suis fille du soleil, et non de l'ombre, la fille de la Vie! De là où il est, mon bébé veille sur moi, pour toujours, et sur Rachid aussi, que je porte dans mon coeur à jamais, personne ne pourra me l'arracher, même si j'appartiens à un autre, un jour prochain...si je trouve un homme, un vrai, un qui m'aime pour moi, et qui me prend comme je suis, avec toute mon histoire

                                            (a suivre)

 

(Maternité, statue du parc)

 

 

02 octobre 1998

 

Au temps des légendes familiales

 

Ma soeur et Nabil veulent me garder quelques temps, mais je ne veux pas les géner.
Plus rien ne me retient ici davantage que là! Mon meilleur ami s'en va avec Djémila au Brésil.
Mika est monté à Paris pour faire carrière. Rachid a disparu sur les traces de son père.
Je pense que je vais reprendre des études de langue et de linguistique.
Je serai une partie du temps en France, où je prendrai des cours en fac. On m'a donné une adresse pour une chambre de bonne vers la barrière de Toulouse à Bordeaux. L'autre partie du temps, les vacances scolaires, je serai du côté de Stuttgart, où je n'oublie pas que Joseph m'a donné rendez-vous. Il a besoin d'une traductrice pour ses travaux techniques. Et j'irai loger à la Jungendhaus, ou je trouverai chez l'habitant.

En attendant que l'année universitaire commence, je suis quelques jours en ressourcement chez la "Yaya", dans les Cévennes.
Elle vient d'entrer en veuvage, son compagnon est décédé d'un cancer.
J'ai besoin qu'elle me raconte une fois de plus l'histoire de nos origines, avant d'ouvrir ma nouvelle page blanche!

 

-Grand-mère, raconte-moi la famille!
-Bon, alors, ma mère, c'était une berbère.
C'était au temps de la colonisation.
Un colon d'origine espagnole l'a trouvée dans un sac où ses parents l'avaient enfermée pour la soustraire à un massacre collectif.
Il a trouvé par hasard le sac, quelque chose remuait, il a pensé que c'était un petit animal, il a ouvert et il a vu cette petite fille.
Sa femme venait d'accoucher d'un enfant mort-né, alors elle l'a allaitée, ça l'a un peu consolée. Ils ont appelé cette enfant "Aicha" parce que ça veut dire VIE et que le Très Haut lui avait donné et laissé VIE!
C'était une enfant robuste, elle aimait vivre au grand air, ils lui confiaient les troupeaux à garder.
A 16 ans, un homme la prise pour femme, et elle a eu une petite fille: c'est moi!
Mais mon père est rapidement mort de tuberculose et Aïcha est repartie avec moi dans la montagne, elle suivait un rebelle, un bandit d'honneur. Pendant des mois, elle a été sa compagne, mais la vie était trop dure pour moi surtout et ma mère est descendue dans la plaine se louer chez de riches propriétaires. L'un des fils l'a trouvé à son goût, et ils ont eu deux fils. Mais le patriarche refusait le mariage, et lorsque le fils s'est marié, la brue jalouse d'Aïcha qui etait belle et spirituelle, et qui plaisait toujours à son mari, l'a faite chasser. Cependant les fils ont été élévés chez les jésuites et ils ont de très belles situations, l'un ingénieur, l'autre aviateur.
Maman est allée louer ses services dans une autre exploitation, celle d'un veuf d'origine espagnole, qui avait déjà quatre enfants. Elle a pris soin du bétail, des enfants, et a eu encore deux enfants avec cet homme. J'en ai des frères et des soeurs!
-Et toi? raconte!
-Moi, j'ai été servante comme ma mère pendant plusieurs années, j'ai eu plusieurs enfants avec les maîtres, ils ont été placés en nourrice dans la montagne, parce que les maîtres étaient mariés! J'ai fait aussi plusieurs fausses couches, les conditions n'étaient pas aussi bonnes qu'à présent. Ce qui fait que beaucoup de petits anges nous attendent là-haut!
Puis je me suis mariée deux fois, la dernière à un négociant juif.
-C'est pour ça que maman est juive?
-Oui! un peu...
-Mais toi, qu'est-ce que tu es?
-Mi musulmane comme mon père, et mi chrétienne comme ma mère, les berbères sont chrétiens d'origine, de plus, dans la famille où elle vivait, ils étaient espagnols et catholiques.
Moi, je ne suis pratiquante de rien, mais je crois en Dieu! Il nous a vraiment protégés toujours!
-Et les protestants alors? d'où ils viennent?
-C'est du côté de ton grand-père paternel, des prussiens, je pense qui fuyaient toute dictature, et là-bas c'est les protestants.
-Oui mais pourquoi ont-ils des têtes d'asiatiques, en fait ils venaient d'où?
-De la civilisation Moghole.
-Ils vivaient sous la yourte?
-Plutôt dans des palais, et ils étaient certainement musulmans.
-Ca n'explique pas leurs têtes de boudha!
-Ils venaient auparavent du Toit du Monde, un pays boudhiste.
-C'est pour celà qu'ils ont toujours un petit boudha chez eux?
-Sans doute...
-Ca en fait des religions et des races tout ça!
Et nous qu'est-ce qu'on est finalement?
-Surtout de culture espagnole quand même!
-Comment ça? et d'où?
-Par mon côté adoptif si tu veux, et du côté de ta grand-mère paternelle, ils étaient tous espagnols, réfugiés à la suite de tremblements de terre, de choléras, de famines, et de purges politiques ou de guerres civiles.
Ta mère, elle parle mieux le valencien que le français.
-Et la danse, où tu l'as apprise?
-Comme ça, j'étais naturellement douée! Maman dansait très bien, moi, je regardais tous ceux qui dansaient partout où j'allais et je copiais, et ensuite j'inventais, c'est comme ça que je suis devenue danseuse professionnelle.
-Tu ne l'as pas été longtemps?
-Non, juste lorsque j'ai été mariée avec Ladislas, le musicien tzigane, on faisait des tournées ensemble dans plusieurs pays, il faisait de la peinture également, la vraie bohème! Mais on ne pouvait pas fonder une véritable famille, tu comprends?
-Alors maman, c'est la fille de qui? du peintre ou du négociant?
-Du peintre!
-Ah, c'est pour ça!
-Pour ça quoi?
-Qu'elle peint, et moi aussi!
-Peut-être! Tu veux en faire ton métier?
-J'aurais bien aimé, mais trop d'obstacles actuellement, je crois que je vais poursuivre l'étude linguistique.
-Fais selon ton coeur, c'est comme ça que tu pourras grandir!
Ne pense plus au passé, moi aussi j'en ai traversé des horreurs! Les femmes, chez nous, s'en tirent toujours, nous sommes les gardiennes de la Vie, n'oublie jamais ça!

                                  °°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

Si je ne sais pas où je vais, je sais quand même un peu d'où je viens!
Je pense que sans nostalgie excessive, celà peut m'aider à aller de l'avant

                                                   (A suivre)

 

 

08 octobre 1998

 

Au temps du pardon

 

Je vais quitter la Yaya pour rejoindre Bordeaux.
On se fait des adieux qui n'en finissent pas. Les dernières palabres sont les plus importantes, toujours, sur le pas de la porte, sur le fil du rasoir, à l'arrache-coeur...

-Tu sais, Lili, une fois, j'ai aimé un beau soldat, c'était pendant la guerre, on n'a pas pu garder l'enfant.
Je dissimule mal mon émotion
-Pourquoi?
-J'étais mariée! Mon mari en campagne, le soldat était pâle, grand, blond, aux yeux bleus...
-Tu as eu du chagrin?
-Beaucoup ... beaucoup!
C'est presque mon enfant préféré, je pense à tous, je n'en oublie aucun tu sais!


Je ne peux retenir mes larmes.
-Pleure ma petite Lili, mon adorée, ça fait du bien, ma tigresse!
Je me laisse aller dans ses bras, elle me caresse les cheveux comme quand j'étais toute petite.
-Ils sont beaux tes cheveux, mais tu n'étais pas blonde?
-...

-Pardonne à tes parents.
Je me redresse, dure.
-Non!
-Ils ne cherchent que ton bien!
-Non!
-Laisse au moins la porte entr'ouverte...
-?!
-Tu te souviens Kadour?
Mes yeux s'équarquillent, comment a-t-elle deviné?
-Oui je me souviens, et comment!
-Il laissait la porte ouverte pour ceux qu'ils connaissaient, et la lumière aussi...
-Oui mémé, j'ai compris, mais il me faut du temps, tu comprends, du temps!
-Prends ton temps, mais laisse la porte ouverte, comme Kadour!

-Mémé, pourquoi je me sens  berbère, moi?
-Ah, tu nous fais une jolie berbère, oui, ça alors!
Tu parles allemand, tu aimes arabe, tu danses espagnol, tu chantes juif, tu pries protestant, tu manges américain, tu t'habilles pakistanais , tu peins impressionniste et cubiste, ah oui, la jolie berbère que tu nous fais !
Et quelles langues tu vas travailler?
-Allemand et arabe.
-C'est bien ce que je dis! L'arabe n'est pas la langue des berbères, tu le sais?
-Oui, une chose après l'autre et un temps pour chaque chose!
-Lili, fais comme tu penses, berbère, tu l'es, oui, un peu, mais avec tant d'autres composantes, tu as de la chance, ma fille! et tu vis un siècle merveilleux, profite! Ne te colle pas au passé, tourne la page, sois DE TON TEMPS!
Cependant, je vais te donner, à toi, le collier d'Aïcha, porte son collier, porte son nom! C'est ma bénédiction.
Aïcha, la VIE! pour toi et pour la famille que tu fonderas. N'oublie pas.

                                                              (A suivre)

 

 

20 juillet 2005

 

Epilogue

 

Je n'ai pas oublié la "Yaya", non pas oublié! Et puis j'ai laissé la porte ouverte, et les eaux du pardon ont tout submergé!

J'ai appris que le pardon est une démarche et une grâce qui s'inscrit dans la chair et dans le temps.

Pardonner n'est pas oublier, mais ne pas enfermer dans, laisser la porte ouverte à, effacer la dette...

J'ai revu Rachid, il n'a pas retrouvé son père, il a cependant fondé un foyer. Notre rencontre a rouvert des plaies non cicatrisées des deux côtés! Rachid, lui, en apprenant de ma bouche tout ce que j'avais vécu et ce qu'il s'était réellement passé, il est devenu comme fou! Il voulait quitter femme et enfants et venir défier toute ma famille. Je n'ai pas accepté, on ne peut pas sacrifier le présent au passé, au nom de ce qui n'a jamais pu être! Il faut écrire des pages neuves.

Comme toi, la Yaya, et comme Aïcha, j'ai eu plusieurs copains, mais ils ne pensaient qu'à leur réputation, leur génie, leur carrière et je n'avais pas de véritable place dans leur vie, jusqu'au jour où j'ai connu le rejet délibéré additionné de diffamation, et là, j'ai failli à nouveau rencontrer ma mort!

C'est alors que mon "Grand Amour" m'a trouvée.
Un homme que je connaissais depuis longtemps, que j'avais remarqué, et qui soupirait après moi en secret.

En fait, nous soupirions tous les deux mais pas en phase! Et certaines blessures sont longues à cicatriser...

Si d'aventure je pleure, perdue sur la route aride, au coeur du désert, il est beau mon berger! Il marche à grandes enjambées, il finit toujours par me rejoindre et me ramener... C'est une forme d'équilibre et de cheminement à deux!

Et tu sais, lorsque je parle aux abeilles et aux oiseaux, quand je suis avec les moutons, j'entends le murmure de la voix d'Aïcha dans les arbres, les sources et les fontaines, et je sais que ce don curieux d'ouvrir les pensées, c'est d'elle qu'il nous vient, à nous, les femmes de sa lignée!

Tiger Lili

                                                                     (à suivre encore)

 

 

24 juillet 2005

 

Post scriptum:

 

 

 

 

 

Mes parents se sont depuis peu "affranchis" de la tribu, ils ont leur propre logement, ils ont conquis leur indépendance.

Et du coup, ils ont pris conscience de certaines réalités et vérités. Ils évoluent... J'ai davantage de prix à leurs yeux.

Je retrouve petit à petit le goût de vivre, d'apprendre et de m'émerveiller.

Tiger Lili         

FIN ?

 

 

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